Chroniques ordinaires d'une immersion au cœur des métiers des magasins E.Leclerc
La mise en rayon : c’est un incontournable pour qui veut vraiment connaître les coulisses d’un hypermarché. Mais lorsqu’elle est associée à une implantation en allée centrale avec "théâtralisation" comme on dit dans le jargon, le métier tourne à l’évènement ! Fête des mères, Foire aux vins, Blanc (le linge de maison, pas le Gros Plant), puériculture ou Saint-Valentin, les thématiques des catalogues déclinent le festif à l’envi toute l’année et inspirent les chefs de rayon pour créer des mises en scène repérables dès l’entrée du magasin. Alors immersion de saison oblige, j'ai choisi de tester l'opération au sein d’une escouade de petites mains qui opère en mode nocturne, dans un décor aux couleurs chamarrées où il est question de douceurs et de gourmandises… Ok, vous l’aurez compris, ça sent bon la thématique de Noël, mais l’expérience va pourtant virer vers un décor un peu plus à l’Ouest... Bref, j’ai testé pour vous l’implantation des chocolats de Noël.
[PART 1.] : Il était une fois dans l'Ouest...
Aaah ! Noël et son cortège d’attributs qui s’installent désormais dans les rayons dès le mois de novembre : jouets, décoration, arts de la table, traiteur, vins & spiritueux, chocolats… tout est bien dans le sapin, tout est bon pour la consommation ! Les catalogues s’enchaînent pendant deux mois et les marques rivalisent de créativité pour enrober leurs produits d’un emballage festif, histoire de convaincre le client de la pertinence d’acheter de la pâte à tartiner en taille magnum, parce qu’il y a un flocon de neige dessiné sur le pot ou d’offrir un abattant de WC doré avec paillettes incrustées parce que ça fait "plus fête".
Alors, pour ne pas trop se disperser et mettre un peu de cohérence dans cette débauche d’oripeaux lamés, le chef de rayon a une arme de gestion massive : l’implantation en allée centrale ! Plus que jamais cet emplacement stratégique devient la Mecque vers laquelle tout le monde se tourne, le phare du client égaré, le Graal du petit fournisseur, l’Ouest à conquérir pour le représentant qui tel le pionnier cherche à marquer ou étendre son territoire. Le décor est planté, alors rentrons maintenant dans le vif du western.
Dès mon arrivée à 5h, je rejoins le point de rendez-vous à l’entrée du magasin, juste derrière la ligne de caisse. Une vingtaine de fournisseurs est déjà à poste entourée de palettes et de cartons à déballer. Ce matin-là, l’enjeu c’est le chocolat et le plan de bataille est dessiné sur papier, au carreau de carrelage près, pour répartir les fournisseurs et leurs gammes selon une négociation déjà calée par les hommes de main du magasin : Didier, le commandant du secteur et Laurent, son chef de troupes pour l’opération D-Day. Ils me donnent la liste des forces en présence : "Il y 4 Ferrero, 3 Lindt, 3 Nestlé, 2 Mars, 1 Lutti/Révillon, 1 Duc d’O/Chevaliers d’Argouges/Le Chocolatier Sablais et 2 Cémoi ".
Tout le monde se connait, tout le monde se tutoie, tout le monde s’embrasse pour dire bonjour. Ah non, il y a cette jeune femme-là, les yeux un peu collés, qui râlent parce qu’elle n’a pas fermé l’œil de la nuit à cause d’un ronfleur « de compétition » qui occupait une chambre voisine de la sienne à l’hôtel. Chacun fomente sa stratégie pour implanter le terrain au mieux et au plus vite, plan dans une main et cutter dans l’autre, prêts à dégainer leur lame dès le "top" départ donné. Didier me présente Cathy qui est là chaque année pour la marque Cémoi et me propose d’intégrer son camp pour l’aider à implanter sa gamme..
L'enjeu de façade
Cathy a environ 80 références à placer, dont 47 marques et 28 premiers prix, commandées en amont via la centrale coopérative Scarmor, puis livrées en direct au magasin à date définie. Elles sont toutes là parmi ces montagnes de cartons empilés sur palettes, qui encadrent pour l’instant les rayons. Dans un premier temps chacun cherche ses box pour les positionner sur l’îlot central selon les frontières bien définies par Didier et Laurent, les Casques bleus du jour des fournisseurs.
Vu comme ça, sur le papier, entre Le Lutti et le Ferrero, on n’est pas les plus gros… Je lui demande très vite comment tous ses cartons de produits vont pouvoir rentrer sur un îlot central dédié de 4 carreaux ? "Ici on n’implante que nos box. Il faut optimiser l’espace donné. Mais il y a un autre enjeu, c’est l’implantation murale juste derrière. Et là…", ajoute-t-elle à voix basse "…c’est un peu la guerre entre fournisseurs ! ".
Je me retourne et découvre effectivement un long mur linéaire vide, qui étrangement ne semble intéresser personne pour l’instant. Mais je vais vite découvrir qu’en ce lieu, ce qui se joue, c’est un peu la conquête de l’Ouest, la ruée vers l’or chocolaté bien placé, un OK Corral de la grande surface où chaque représentant est un mercenaire qui doit avoir la gâchette agile et rapide pour protéger son "squelette" et marquer son territoire. Me voilà donc en mode "pétroleuse" ! Tout va se jouer en moins de 4 heures et si certaines règles sont bien établies, elles n’exemptent pas de tenter quelques ruses…
[PART 2. à suivre demain sur www.bretagneaucoeur.com]
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