Le rapport fait grand bruit depuis sa parution il y a quelques jours mais la question est : sonne t-il juste ? … et inévitablement, qui en est la voix ? Le premier rapport annuel de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires est-il vraiment le vademecum impartial qu’il prétend être, pour "éclairer les acteurs économiques et les pouvoirs publics sur les évolutions de l'offre et de la consommation", comme le préconise son vertueux principe ?
"Nous ne sommes pas encore dans le stade de l'explication", précise Philippe Chalmin, Président de l’Observatoire crée en 2010 dans le cadre de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche. Dommage… surtout quand on jette en pâture quelques chiffres chocs, avant de préciser que "le rapport a permis d'avoir plus de transparence sur le partage de la valeur ajoutée entre producteurs, industriels et distributeurs, sur les évolutions de prix des produits de grande consommation vendus dans la grande distribution, des produits pétroliers et carburants et des produits du secteur agricole". Mais qui est le garant de cette transparence puisque la grande distribution, et le mouvement Leclerc en particulier ne se retrouvent pas du tout dans les marges évoquées ? Ce que le rapport dit : "Les informations de l’Observatoires sont mises à jour tous les mois à partir des données fournies par les institutions et les entreprises spécialisées…" Ce que le rapport ne dit pas : France AgriMer est l’entreprise spécialisée qui fournit les données pour la filière porc et Fruits et légumes. Xavier BEULIN est président de France AgriMer. Xavier BEULIN est président de la FNSEA… La dissonance entre les chiffres de l’Observatoire et ceux des Leclerc s’entend au cœur même des rayons de supermarché.
> A Jean-François, boucher au Leclerc de Concarneau
Est-il vrai que la marge effectuée sur les longes de porc est de 55 % ?
- « Faux. Tout d’abord, le bénéfice de mon rayon est de 2% avec une marge de 50 % qui se réduit à l’année avec les opérations promotionnelles. J’ai donc une marge moyenne basse de 25% puisque la moitié du chiffre d’affaire est réalisée avec les promotions. Je préfèrerai avoir un prix de fonds de rayon plus bas toute l’année mais avec des promotions moins marquées. Ce sont les producteurs qui demandent ces opérations pour relancer la consommation du porc, par exemple en janvier ».
> A Jocelyne, responsable au rayon Fruits et légumes du Leclerc de Lannion
Est-il vrai que vos marges sont entre 50% et 500% ?
- « Le coup de la cerise bigarreau vendue 5 fois son prix, ils ont du voir ça un 15 août sur une plage de Saint-Tropez ! La marge nette de mon rayon est de l’ordre de 3%. Mais comme d’habitude on fait croire que le prix payé par le distributeur est le prix payé aux producteurs. En réalité, on traite avec des coopératives ou un groupement de producteurs qui majorent leurs prix en intégrant les coûts de ramassage, de conditionnement, de livraison ou de marketing. Cette élévation du prix ne fait pas partie de nos marges. Ce serait aussi stupide de faire ce rapport là que de considérer que la marge du marchand de journaux représente la différence de coût entre le prix du papier et le prix du magazine en kiosque ».
Pourquoi ne baissez-vous pas les prix dans vos rayons quand les prix d’achat baissent ?
- « Mais nous les baissons bien-sûr, seulement la baisse du produit fini et livré ne baisse pas autant que le prix du produit brut. Ce n’est pas le seul élément qui fixe le prix de vente. Quand le prix d’un produit s’écroule, proportionnellement en pourcentage, le prix du conditionnement et du pétrole augmentent ! ».
> A Olivier, responsable crèmerie à Concarneau
Les produits laitiers sont-ils soumis à une baisse des marges nettes ?
- « Ce n’est pas une histoire de barème selon un secteur ou un autre. Dans mon rayon, les marges sont basses parce que nous avons affaire à des marques de grande notoriété qui sont soumises à une forte concurrence ».
> A Pierrick, comptable au Leclerc de Landerneau
Quelle est la marge globale que fait le magasin de Landerneau ?
- « Le résultat net ici est de 2% sur l’année. Cela correspond à l’écart entre la marge brute et les frais généraux. C’est un bon chiffre et je ne comprends pas d’où sortent ceux que j’ai parfois lus dans la presse ces derniers temps. Ils sont surréalistes ! »
Un petit jeu de questions-réponses simples à pratiquer, qui tend à démontrer que le rapport de l’Observatoire sert un refrain entonné par certains syndicats agricoles qui sonne toujours aussi faux : les paysans et les producteurs locaux ne sont pas les concurrents de la grande distribution. Les concurrents de Leclerc sont Carrefour, Système U et Intermarché. Les concurrents de producteurs de lait sont les producteurs néozélandais, les concurrents des producteurs de porcs sont leurs homologues allemands. Les distributeurs ne sont pas de mauvais Français : ils favorisent les achats régionaux. Leur intérêt est de faire de l’achat militant de proximité, en gros volumes avec des marges faibles.
Quand les Français entendent que les marges sont élevées ils entendent que les produits sont chers. La conséquence est immédiate, une baisse des ventes, celles des fruits et légumes du producteur local ou de la viande de porc du paysan d’à côté. Sans doute qu'il est plus facile de désigner un bouc émissaire plutôt que de chercher les bonnes solutions pour améliorer les revenus du monde agricole, mais c’est au détriment de la compréhension des problématiques et de ses solutions. Quant au fameux partage de la "valeur-ajoutée", cher aux hommes politiques et aux leaders syndicalistes, il n’y a plus qu’en Corée du Nord et à Cuba qu’on peut encore décider de partager avec son client ou son fournisseur. Dans l’économie libérale, on fixe son prix en cohérence ou en confrontation avec celui des concurrents. Et puis si par miracle cela était possible, le "partage" de la valeur ajoutée de la distribution (2%) réglerait il les problèmes ?
Les distributeurs souhaitent que les conditions des producteurs de porc s’améliorent. Les Leclerc bretons soutiennent les filières régionales et le prouvent avec Cochon de Bretagne, Kermené, la marque pour la filière pêche… Encore une fois, la question n’est pas qui se partage la valeur ajoutée, mais comment aider et maintenir l’agriculture en France.
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